Le Madrid d'Almodóvar
En regardant les films d'Almodóvar, le spectateur curieux peut s'amuser à essayer de reconnaître les recoins et les lieux de la ville. Certains sont devenus de véritables icônes de l'univers d'Almodóvar. D'autres en revanche sont plus difficiles à situer.
La carrière du réalisateur de cinéma, scénariste et producteur espagnol a été distinguée par des récompenses cinématographiques internationales, parmi lesquelles deux Oscars du meilleur film étranger pour Tout sur ma mère (1999) et du meilleur scénario original pour Parle avec elle (2003), ainsi que le prix Ariel pour le meilleur film latino-américain pour Douleur et gloire (2019), ainsi que de nombreux prix Goya.
Dans Madres paralelas, son dernier film (2021)
- Plaza de las Comendadoras: c'est sur cette belle place du quartier de Conde Duque, où se trouve le couvent des Comendadoras de Santiago (ordre militaire et religieux de Saint-Jacques de l'Épée) dont elle tire son nom, que se déroule la plus grande partie du film. C'est là qu'habite Janis, le personnage interprété par Penélope Cruz. Plusieurs des conversations les plus importantes du film ont lieu à la terrasse du café Moderno, un établissement ouvert là depuis bien longtemps où il fait bon se détendre en prenant un verre aussi bien en terrasse qu'à l'intérieur.
- Hotel Urso: c'est dans cet hôtel 5 étoiles (Mejía Lequerica,8) que les personnages joués par Penélope Cruz et Israel Elejalde conçoivent leur enfant.
Taberna Ángel Sierra: un bistrot légendaire pour une rencontre essentielle au film. Un lieu incontournable sur la place de Chueca.
Les maisons de la M-30
À la fin de Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça?, la caméra s'éloigne des grands immeubles où vivent les personnages principaux du film et les maisons se perdent dans l'océan des édifices de la grande ville. Les trois immeubles se dressent au bord du périphérique M-30, tout près de la mosquée, dans le quartier de la Concepción. Almodóvar les avait remarqués il y a bien des années : « Quand j´allais travailler dans le hangar de Telefónica, près du village de Fuencarral, je passais tous les jours par la M-30. J´ai toujours été impressionné par ces énormes ruches qui dominent l'autoroute ».
La Bobia
Regards provocateurs et flirts en pagaille dans ce qui est aujourd'hui le café Wooster (Duque de Alba, 3), au Rastro. Point de rencontre légendaire de la movida et fondamental dans Labyrinthe de passions. C'est ici que commence le film et la rencontre torride entre les deux personnages interprétés par Imanol Arias et Cecilia Roth.
Caserne de Conde Duque
(Conde Duque, 9) « Arrosez-moi! Allez-y! ». C'est une de ses scènes les plus célèbres. Le personnage interprété par Carmen Maura demande à un agent municipal qu'il la soulage de la chaleur suffocante d'une nuit d'été dans La loi du désir.
La rue d'Arenal
Almodóvar a tourné la fin de En chair et en os dans la rue d'Arenal, en profitant de la décoration de Noël. Une des prises de vues fixait le Museo del jamón qu'il y a au début de la rue. Le metteur en scène tournait en cachette à l'intérieur d'une fourgonnette et dans la rue les piétons se mélangeaient aux figurants embauchés pour l'occasion. Ils tournèrent durant des heures et quand il examina les prises de vues, Almodóvar s'est rendu compte que sur toutes les prises, il y avait un homme qui attendait à la porte d'un bar. « Je suppose que cet homme avait rendez-vous avec quelqu'un qui n'arrivait pas ». L'homme en question a des lunettes et on le distingue très rapidement lors de cette scène finale.
Madrid de carte postale
L'itinéraire du Madrid d'Almodóvar coïncide très peu avec celle des bus touristiques. Seules quelques exceptions comme la Plaza Mayor dans La fleur de mon secret et, surtout, le travelling nocturne sur la Porte d’Alcalá, qui servait de fond pour le générique du début de En chair et en os.
Une ville en carton pâte
Dans Kika, Almodóvar n'a presque pas tourné d'extérieurs qui soient facilement reconnaissables. Mais le metteur en scène s'est arrangé pour qu'il ne manque pas de lieux emblématiques de la ville. Dans une des pièces de la maison, il y avait des maquettes de Torre Madrid, des tours Kio et de Torre Europa. Et encore du carton pâte : le paysage ou décor de fond dans l´appartement de Verónica Forqué représente la Torre Picasso. Celle-ci apparaît à nouveau dans Les étreintes brisées : c'est le paysage qu'on voit depuis le bureau où travaille l'important homme d'affaires interprété par José Luis Gómez.
Cimetières, trains et aéroports
Les localisations les plus répétées dans les films d'Almodóvar sont le cimetière de la Almudena et l’Aéroport Adolfo Suárez Madrid-Barajas. Toujours attentif aux changements de la ville, dans Kika, le metteur en scène a filmé pour la première fois la gare de l'AVE (TGV) à Atocha avec un travelling exquis dans lequel arrive Peter Coyote à Madrid. Quelques années plus tard, dans Tout sur ma mère, Cecilia Roth utilisait de nouveau l'AVE, cette fois pour voyager de Barcelone à Madrid. Almodóvar a devancé son temps. L'AVE n´était pas encore arrivé à la capitale catalane.
Bar à cocktails Museo Chicote
L'une des scènes clé du film Les étreintes brisées a lieu dans cet emblématique bar à cocktails (Gran Vía, 12) qui a vu passer les plus grandes célébrités du star system espagnol et international. Si les murs de Chicote parlaient, ils nous raconteraient comment Ava Gardner séduisit le célèbre torero Luis Miguel Dominguín. Dans le même film, le personnage interprété par Blanca Portillo se donne du courage à coup de gin-tonic pour raconter toute sa vérité enterrée depuis tant d'années.
La Corona de Espinas
Le siège de l'Institut du Patrimoine Historique Espagnol (El Greco, 4. Cité universitaire), connu sous le nom de « La Corona de Espinas » (La couronne d’épines), est le lieu choisi pour que le personnage vindicatif incarné par Antonio Banderas dans La peau que j’habite prononce son discours lors d'une conférence. Pour l'architecte Richard Rogers, ce bâtiment n'est que « pure créativité et énergie jusque dans le moindre détail ». Il s'agit d'une œuvre des architectes Fernando Higueras et Antonio Miró, au style organique, dont la construction commença au milieu des années 60. Almodóvar l'a choisi pour son expressivité, qui vient s'ajouter àcelle de l'action proprement dite narrée dans cette scène.
Viaduc de Segovia
Cette œuvre est un exemple du rationalisme architectural madrilène des années 30 (bien qu'elle ne fût pas inaugurée avant 1949) appliqué aux infrastructures urbaines. Le viaduc relie en hauteur le Palais Royal et Las Vistillas. Dans l'imaginaire populaire des Madrilènes, ce fut un lieu de prédilection pour les suicidaires. Ce lien avec la mort apparait clairement dans Matador, un film qui parle de la passion poussée à l'extrême, et surtout dans son dernier film, Les Amants passagers, une comédie provocatrice, tournée presque entièrement en studio, dans laquelle le personnage de Paz Vega tente de se suicider précisément à cet endroit.
D’autres adresses et recoins « almodovariens »
- Calle Montalbán, 7. Appartement au dernier étage où habitait Pepa (Carmen Maura) dans Femmes au bord d'une crise de nerfs. Au fond, les toits de la Gran Vía avec l'édifice Telefónica.
- Calle Almagro, 38. Maison de la famille d'Antonio Banderas dans Femmes au bord d'une crise de nerfs.
- Calle de Sevilla, 3. Maison de Kika dans Kika.
- Villa Rosa (Plaza de Santa Ana, 15). Bar de nuit dans lequel se produisait le chanteur travesti Miguel Bosé dans Talons aiguilles.
- Teatro María Guerrero (calles Tamayo et Baus). Théâtre dans lequel chantait Marisa Paredes dans Talons aiguilles.
- Café del Círculo de Bellas Artes (calle Alcalá, 42). Lieu où se réunissaient Victoria Abril et Peter Coyote pour parler d'un scénario dans Kika.
- Plaza del Alamillo. Lieu où était située la conciergerie dans laquelle vivait Marisa Paredes dans Talons aiguilles.
- Plaza de Puerta de Moros. Lieu où le personnage de Leo (Marisa Paredes) tente de s'enlever les bottes au début de La fleur de mon secret.
- Paseo de Eduardo Dato, 18. Maison de Javier Bardem et Francesca Neri dans En chair et en os.
- Calle Segovia. Dans ce quartier, sous le viaduc, vit le personnage interprété par Lluis Homar dans Les étreintes brisées.
- Cock (calle Reina, 16). C'est là que travaille comme disc-jockey le personnage de Tamar Navas dans Les étreintes brisées.
À l’âge de 17 ans, Pedro Almodóvar fuit son village, Calzada de Calatrava, pour rejoindre la capitale. Son évolution personnelle et artistique est liée à Madrid, une ville qui est un personnage de plus de ses films et dont il a su exprimer avec brio la transformation au cours des dernières années.
Pedro Almodóvar est arrivé à Madrid par la route d'Estrémadure. Comme il le racontait dans un article autobiographique publié dans le journal Diario 16 en 1993, son premier contact avec la ville fut profondément décevant: « Cela ne correspondait pas à ce dont j'avais rêvé : le paysage était chaotique, sale et peu accueillant ».
Almodóvar avait alors 17 ans et il était convaincu que son village était une prison pour ses ambitions. Il avait trahi le désir paternel de travailler dans une banque et devenir ainsi un homme bien, et avait fait sa valise vers un futur fascinant, au grand dam de sa famille. Toute sa vie, Madrid avait occupé son esprit comme le lieu brumeux qu'occupent les légendes.
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Dans ce même article, Almodóvar se souvenait que, quand il était petit, sa mère lui racontait que dans les années vingt, elle avait voyagé à la capitale et, poussé pas ses récits fantaisistes, Pedro imaginait que vivre là-bas, c'était comme vivre dans les films de Sissi Impératrice. Avec le temps, Madrid s'est transformée dans son esprit en un lieu où l'on faisait ses courses par courrier et où l'édifice des Galeries Preciados en était le décor : « Je me rappelle les catalogues avec des photos en noir et blanc de toutes sortes de produits pour le corps et pour la maison. Ce fut mon premier contact avec le pop; je ne l'oublierai jamais. »
L'image de cette ville légendaire a évolué avec l'âge jusqu'à ce qu'elle devienne enfin, pour l'adolescent Almodóvar, un rêve de liberté : « C'était le lieu où sortaient les films en avant-première, et aussi celui où tout le monde faisait sa vie. En définitive, c'était un rêve ».
Mais Pedro était arrivé par la route d'Estrémadure et, ni aujourd'hui ni en 1972, la route d'Estrémadure ressemblait aux jardins viennois de Sissi Impératrice. Ensuite, racontait-il, il a dû s'habituer à l'odeur du métro et au fait surprenant que la nuit on ne voyait pas les étoiles. « Ce sont les premières sensations dont je me souviens, ça n'avait rien de fascinant, mais je suis resté ».
New York a Woody Allen. Rome a eu Fellini et Madrid au cinéma se nomme Pedro Almodóvar. Un synonyme auquel la ville et le réalisateur sont arrivés pratiquement sans le vouloir. Parce qu'à l'inverse de Woody Allen et de Fellini, Almodóvar n'a jamais rendu un hommage particulier, ni fait publiquement de déclaration d'amour envers sa ville. La relation entre eux a été beaucoup plus naturelle car très vite ils se sont rendus compte tous deux que leurs vies étaient des vies parallèles.
De fait, le cinéma de Pedro Almodóvar ne peut pas se concevoir sans Madrid. La ville devient parfois même un personnage clé. Le réalisateur lui-même l'a reconnu un jour : « J'ai toujours trouvé dans cette ville le paysage idéal avec la faune appropriée (insolente et divine) pour chacun de mes films ». Dans Les étreintes brisées (2009), Almodóvar confronte à nouveau deux décors : Lanzarote et Madrid, qui se complètent tout au long de l'histoire. Il y a même un hommage discret à la ville sur l'affiche du film qui est tourné dans le film, Chicas y maletas, avec une photo de Penélope Cruz en blonde, au milieu de tours emblématiques madrilènes.
Almodóvar et Madrid ont évolué au même rythme : l'un comme l'autre sont passés de la province aux villes internationales et modernes, et en chemin ils n'ont pas complètement abandonné leur origine provinciale et rurale. Almodóvar a trouvé à Madrid le décor naturel de tous ses paradoxes. Le lieu où le design d'avant-garde côtoie sans complexe la bonne vieille robe de chambre.
Hors de Madrid, les spectateurs de Femmes au bord d'une crise de nerfs interprétaient comme une véritable trouvaille que Carmen Maura élève des poules sur la terrasse de son appartement à la décoration exquise, mais c'est en fait de ces contradictions qu'était faite la ville. Tout comme Almodóvar, qui l'utilisait comme un miroir. Il s'agissait de regarder sans complexe et de savoir où regarder. D'une façon naturelle, Almodóvar donnait un nom aux lieux où pullulaient ses personnages.
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L'appartement des poules se trouvait dans la rue Montalbán; il baptisa son assassin en série comme l'assassin de Cuatro Caminos; le violeur de Kika était le violeur de Orcasitas et le quartier où vivait le personnage principal de Qu'est-ce que j´ai fait pour mériter ça? était le quartier de la Concepción. Pour Volver, il choisit le quartier populaire de Vallecas. Le plus curieux, c'est que malgré des références aussi locales, ses films ont obtenu un succès international : « Il y a des éléments très locaux dans mes films, qui sont très bien compris à l´étranger, comme par exemple à New York. La vie dans les grandes villes se ressemble beaucoup, les inconvénients sont les mêmes et malgré les différences culturelles, ils se confondent de plus en plus ».
Si l'on voulait étudier l'évolution de Madrid durant les vingt-cinq dernières années, on pourrait difficilement le faire sans revoir les films de Pedro Almodóvar. En combinant le rustique avec l'urbain, les trois personnages principaux de Pepi, Luci y Bom et autres filles du quartier (1980) aussi bien allaient dans les discothèques les plus modernes qu'elles se retrouvaient autour d'une table à faire du tricot. Le Madrid de Labyrinthe de passions (1982) était celui du Rastro, la ville effervescente de la movida.
« La ville la plus amusante du monde » selon le dialogue d´un de ses personnages les plus extravagants, l´empereur de Tirán. Le couvent de Entre tinieblas (1983) se trouvait en plein centre de Madrid, dans la rue Hortaleza et, sur un ton beaucoup plus réaliste, dans Qu'est-ce que j´ai fait pour mériter ça? (1984), le metteur en scène décrit Madrid à travers ses quartiers, avec ses terrains encore à bâtir et sa faune de lézards.
Almodóvar brûlait les étapes dans sa carrière et au fond, Madrid brûlait aussi les siennes. S'il fallait parler de mort, c'est le Viaduc de la rue Bailén auquel il fallait faire référence, le lieu habituel des suicides. C'est pour cela que Pedro a choisi ce pont dans Matador (1985), un film qui a aussi été tourné à la Casa de Campo et dans l´abattoir de Legazpi, aujourd’hui deveu une institution internationale dans le domaine de la création contemporaine. Une des nuits de La loi du désir (1986), Carmen Maura demandait à un agent municipal de nettoyage de l'arroser avec son gros tuyau. « Je crois que c'est l'image qui représente le mieux ce qu'on appelle désir », disait le réalisateur de cette scène, qui soit dit en passant est la meilleure traduction à l'écran des nuits d'été suffocantes de la ville.
Chaque recoin, chaque décor madrilène avait son explication. Symbolique parfois et d'autres, pourquoi pas aussi, autobiographique. L'employé en congé sabbatique qui répondait au nom d'Almodóvar a choisi comme décor de fond pour son film Femmes au bord d'une crise de nerfs (1987) la Gran Vía avec l'édifice de Telefónica bien visible. « C'est un de mes paysages favoris ». De cette vue d'ensemble de l'évolution de Madrid à travers le cinéma d'Almodóvar, on pourra remarquer ou se souvenir, pour celui qui s'y applique, les transformations qu'a subi le paysage humain de la ville. Peu avant de devenir le quartier gay tendance, Chueca était le centre des toxicos et des magouilles, comme en témoigne une des balades nocturnes d’Antonio Banderas dans Attache-moi (1989).
À mesure qu'augmentait sa réputation internationale, Pedro Almodóvar se transformait aussi en ambassadeur de Madrid, bien qu'il lui était de plus en plus difficile de l'observer de près. « Je me suis toujours beaucoup amusé avec les gens, j'ai toujours aimé connaître du monde, écouter des conversations, participer et observer ; j'ai utilisé tout ça, mais aujourd´hui, j'ai du mal à être proche de cette réalité ».
C'est sans doute pour cela que Talons aiguilles (1991) ou encore Kika (1993) ont été des films d'intérieurs. Dans certaines scènes de La fleur de mon secret (1995), par contre, le metteur en scène a décidé d'exporter quelques paysages emblématiques du centre-ville. L'écrivaine Marisa Paredes vivait dans les environs de la Plaza de la Paja et dans une des scènes les plus tendres du film, Juan Echanove dansait un zapateado (mouvement de danse rythmé par des coups de talon) en pleine nuit, seul au milieu de la Plaza Mayor.
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Vingt-cinq ans sont passés depuis son arrivée. « J'ai grandi, je me suis amusé, j'ai souffert, j'ai grossi et je me suis épanoui à Madrid. Et tout ça je l'ai vécu au même rythme que la ville », écrivait le réalisateur en 1998, quand il décida pour la première fois de jeter un coup d'œil en arrière pour réfléchir sur tous ces changements.
Le film En chair et en os (1997) commence à Noël en 1970 avec la naissance d'un enfant au milieu de l'état d'urgence décrété dans le pays. À la fin du film, cet enfant, Liberto Rabal, allait avoir lui aussi son premier enfant : « Quand je suis né, les gens étaient chez eux morts de peur », lui disait-il. « Heureusement pour toi, mon fils, il y a longtemps qu´en Espagne nous avons perdu cette peur ». Almodóvar a trouvé en plus dans ce film une des localisations les plus dramatiques de toute sa filmographie : La Ventilla, un quartier de baraques en ruines sur le point d´être démolies, aux pieds des tours modernes et inclinées de la Plaza de Castilla. Une fois de plus, voilà le Madrid et l'Almodóvar des contrastes et de la contradiction.
Jusque là il y avait eu douze long métrages. Douze regards différents sur la ville. Et avec le treizième est arrivée la surprise. Quand il a annoncé qu'il allait tourner Tout sur ma mère (1999) à Barcelone, Pedro n'a pas pu cacher un certain sentiment de culpabilité. « Je suis désolé de trahir Madrid », déclara-t-il. Et il filma une Barcelone d'anthologie et ensuite comme s'il voulait remettre les choses bien au clair et montrer qu'il s´agissait d'une exception incontournable, Almodóvar est revenu avec Parle avec elle. Il est revenu dans le vieux Madrid, aux coins des rues (« J'ai un faible pour les coins de rue »), aux appartements avec leurs balcons et leurs jardinières.
Pendant toutes ces années, les propositions ont été chaque fois plus tentantes. Tourner aux États-Unis, tourner en anglais, mais le réalisateur ne bouge pas, parce que Madrid est moderne et en même temps elle est presque La Mancha. Et qui sait, peut-être s'il lui était infidèle, il pourrait lui arriver ce qui est arrivé à Marisa Paredes quand elle revient dans la ville dans Talons aiguilles :
- Mon dieu, comme la ville a changé !
- Il y a des lieux que tu ne vas pas reconnaître.
- Ce qui m'inquiète c'est que cette ville ne me reconnaisse pas moi.